Insecticides, fongicides, herbicides, parasiticides… Ces produits chimiques ne sont pas anodins, ils sont pourtant utilisés largement par l’agriculture conventionnelle intensive.
En 1930, on utilisait un million de tonnes de pesticides sur la planète, ce volume s’est élevé à quatre milliards de tonnes en 2000 soit quatre mille fois plus.
Et, avec 80 000 tonnes de matières actives utilisées par an, la France est, de loin, le premier utilisateur européen de pesticides (1) . C’est également, en 2013, le troisième consommateur mondial.
Pour la période 2001-2003, la densité moyenne d’usage de pesticides en France a été de 2,9 kg de substance active à l’hectare(2). En 2013, le recours aux pesticides a augmenté de 9,2 %.
Les fruits, pour ne prendre que cet exemple, sont abondamment traités. Ainsi, la fréquence moyenne de traitements des pommes en Picardie est de vingt-sept par an ; dont le captane et le propargite (cancérigène probable) et la phosalone (neurotoxique par inhibition de l’enzyme acétylcholinestérase, avec interruption de la transmission de l’influx nerveux).
N’en déplaise aux industriels, les pesticides sont des substances hautement toxiques. Nos instances de santé l’ont d’ailleurs reconnu en accordant, en juin 2015, le statut de maladie professionnelle à une quarantaine de personnes pour leur pathologie, du fait de leur exposition aux pesticides (données MSA). Cette mise à jour du tableau des maladies professionnelles dans le domaine de l’agriculture est la dernière en date. La précédente remonte à 2012, quand la maladie de Parkinson provoquée par les pesticides y avait été inscrite (3).
De multiples études, s’intéressant aux effets à long terme des faibles doses de ces substances, démontrent leur caractère cancérigène, mutagène, toxique pour la reproduction, perturbateur hormonal, neurotoxique etc.
Dans son 6e Programme d’action pour l’environnement, la Commission européenne a édicté qu’il y a « des preuves suffisantes pour suggérer que les problèmes associés à la contamination de l’environnement et des aliments par les pesticides sont sérieux et s’aggravent ». Rien d’étonnant : ces produits sont conçus pour tuer.
En 2012, au niveau européen, 416 substances actives phytopharmaceutiques sont approuvées, 74 étaient en cours d’évaluation et 779 n’ont pas été autorisées (4) .
Le sang d’un Français moyen contient presque toujours des pesticides organophosphorés et trois fois plus de certains autres pesticides que celui des Américains ou des Allemands. Tel est le verdict de l’Institut de veille sanitaire (ministère de la Santé) qui a conduit des analyses en 2006-2007 auprès 3 100 personnes dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS) (pyréthrinoïdes, paradichlorobenzène). ■
Une même substance peut être réglementée par plusieurs directives. C’est le cas par exemple pour la perméthrine, non approuvée en Europe sur culture depuis 2000 mais autorisée dans les usages insecticides domestiques biocides, ou encore en tant que produit vétérinaire ou pour les usages médicaux dans des lotions anti-poux (tant pis pour les chats qui se lèchent).
Or, ces substances peuvent perdurer très longtemps ; en fonction de leur molécule, de quelques heures ou jours à plusieurs années. Les insecticides organochlorés (pour la plupart interdits aujourd’hui) sont encore retrouvés plusieurs décennies après leur utilisation dans l’environnement et dans les organismes vivants, y compris chez l’homme.
Maladies lourdes
Ainsi, le lien entre l’exposition à ces substances et l’apparition de maladies de type cancéreux ou Parkinson n’est plus contestable (5) .
« Depuis les années 1980, les enquêtes épidémiologiques s’appuyant en particulier sur les observations réalisées dans des cohortes de sujets exposés professionnellement ont évoqué l’implication des pesticides dans plusieurs pathologies, en particulier des pathologies cancéreuses, des maladies neurologiques et des troubles de la reproduction », peut-on lire sur le site de l’Inserm. En 2007, l’étude conduite par Isabelle Baldi (Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement, Bordeaux) dans le Sud-Ouest viticole français (6) met en évidence le risque accru de développer certains cancers du cerveau pour les agriculteurs exposés à de forts niveaux de pesticides, mais aussi les personnes qui les utilisent pour leurs plantes d’intérieur (7) .
En 1992 déjà, le professeur Jean François Viel faisait le lien statistique entre mortalité par cancer du cerveau et l’exposition aux pesticides utilisés dans les vignes (8) .
Dans une région du Minnesota (USA) où sont largement utilisés les fongicides du type manèbe et mancozèbe, les taux de cancers de la thyroïde sont trois fois supérieurs à la normale (9) .
D’autres enquêtes épidémiologiques attirent l’attention sur les effets éventuels d’une exposition, même à faible intensité, au cours de périodes sensibles du développement : in utero et pendant l’enfance.
Les pesticides peuvent être à l’origine de troubles de la reproduction (malformations génitales des bébés, baisse de la fertilité masculine etc.). Ainsi, en 2002, l’équipe du Professeur Sultan (CHU Montpellier) a suivi 2 043 naissances à la maternité montpelliéraine Clémentville. Elle a pu constater qu’un enfant d’agriculteur a quatre fois plus de risque d’avoir une malformation génitale.
Expertise collective
Mais plus récemment encore, c’est une impressionnante expertise collective menée sur l’ensemble des connaissances internationales, et pilotée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui enfonce le clou. Elle met en évidence que les pesticides sont bel et bien impliqués dans un grand nombre de pathologies lourdes dont l’incidence tend à augmenter dans le monde. Ceci en dépit des dénégations des industriels du secteur.
Les résultats ont été rendus publics le jeudi 13 juin 2013 (10) .
Cette synthèse rassemble les données épidémiologiques issues de nombreux pays (États-Unis, Canada, Australie, Finlande, Danemark, etc.). Elle précise les effets sanitaires des principaux produits phytosanitaires : insecticides, herbicides et fongicides.
Une grande part du rapport concerne les expositions professionnelles (agriculteurs, ouvriers du secteur agrochimique, etc.), mais aussi les personnes vivant ou travaillant dans ou à proximité de zones agricoles. En France, terre d’agriculture, 15 % de la population est concernés.
C’est ainsi que chez les agriculteurs, chez les ouvriers de l’industrie qui fabriquent ces produits ou chez ceux qui les appliquent, il y a une « présomption forte » d’association entre une exposition professionnelle aux pesticides et la survenue de certaines proliférations malignes de cellules lymphoïdes (lymphomes non hodgkiniens) et de cancers de la prostate. Les agriculteurs et les applicateurs de pesticides sont également exposés à un risque accru de myélome multiple, une autre prolifération maligne dans la moelle osseuse.
Tumeurs du système nerveux
Que ce soit dans le cadre d’expositions professionnelles ou non, les adultes présentent un plus grand risque à développer une maladie de Parkinson.
Un lien avec d’autres pathologies comme les tumeurs du système nerveux central est aussi suspecté. En Gironde, par exemple, région viticole très consommatrice de pesticides, l’incidence de ces maladies est trois fois supérieure au niveau national. Entre 2000 et 2007, elle a augmenté de 17 %.
Les travaux internationaux examinés mettent en lumière un autre fait majeur : la période de vulnérabilité que représente la grossesse. « Il y a une présomption forte d’un lien entre une exposition professionnelle de la femme enceinte à certains pesticides et un risque accru pour l’enfant de présenter un hypospadias (malformation du fœtus masculin qui se manifeste par l’ouverture de l’urètre dans la face inférieure du pénis au lieu de son extrémité) ou de développer, plus tard, un cancer cérébral ou une leucémie », constate l’épidémiologiste Sylvaine Cordier (Inserm, université Rennes-I) coauteure du rapport. Selon des données internationales, l’exposition professionnelle de la mère, ou du père, augmente de 30% à 53 % le risque de tumeurs cérébrales de l’enfant à naître.
Les agricultrices enceintes ne sont pas les seules concernées. Les femmes qui habitent dans des zones agricoles d’épandage ou celles qui utilisent les pesticides à des fins domestiques le sont également : « Des études montrent un risque augmenté, pour l’enfant à naître, de leucémies, de troubles de la motricité fine, de déficit cognitif, de troubles du comportement comme l’hyperactivité ».
« Il n’existe pas de pesticide totalement spécifique pour une espèce donnée. Les organismes vivants partagent tous des processus et mécanismes physiologiques partiellement communs », notent les experts de Inserm, qui ajoutent « un pesticide, destiné à lutter contre un nuisible, présente un potentiel toxique plus ou moins étendu pour d’autres organismes qu’il ne cible pas ».
1. La France est le premier pays agricole de l’Union européenne, aussi bien en termes de surface (29 millions d’ha en 2010), qu’en termes de chiffres d’affaires (69 millions d’euros en 2011).
2. Source Inserm.
3. Le décret n° 2015-636 du 5 juin 2015 crée un nouveau tableau n°59 de maladies professionnelles pour le régime agricole, relatif aux hémopathies malignes provoquées par les pesticides permettant la prise en charge du lymphome malin non hodgkinien. Voir cancer-environnement.
4. Source Inserm.
5. Le site de Générations futures, association loi 1901 travaille sur le thème des pesticides. Sur son site, de nombreux dossiers démontrant le lien entre pesticides et maladies.
6. La vigne, qui représente moins de 3 % de la surface agricole utile, consomme environ 20 % de pesticides.
7. Brain tumours and exposure to pesticides : a case – control study in southwestern France. D. Provost, A. Cantagrel, P. Lebailly, A. Jaffre, V. Loyant, H. Loiseau, A. Vital, P. Brochard, I. Baldi. Occup Environ Med 2007 ; 64 : 509 – 514.
8. Jean François Viel. Étude des associations géographiques entre mortalité par cancers en milieu agricole et exposition aux pesticides — 1992.
9. D.M. Schreinemachers, J.P. Creason and V.F. Garry. Cancer mortality in agricultural regions of Minnesota, Env Healht Persp 107 — 1999.
10. « Pesticides. Effet sur la santé ». Inserm 2013. Téléchargeable sur le site Inserm.
Photo de UNE : CC BY 2.0 AOC Patrimoniu. Daniel Cremonia.
La vallée de Patrimoniu (Conca d’oru – 2B) et l’AOC des vins de Patrimoniu est en passe de devenir à 80% en agriculture biologique.
Petit échange en lien avec votre article, plasticienne j’ai réalisé une série de dessins sur le thème de la mortalité des abeilles par la pollution des substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture. A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html
Mais aussi, en lien direct, une réflexion sur l’utilisation des produits phytosanitaires : https://1011-art.blogspot.com/p/hommage-magritte.htm