Connard !

Le parcours pour retrouver la santé est semé d’embuche.  Cette fois là, j’avais décidé de me faire aider d’un acupuncteur.

 

Connard ! Sur les conseils de ma sœur, je me rends dans le cabinet du docteur D.  pour une séance d’acupuncture. L’idée : continuer mon cheminement d’auto stimulation positive. M’aider dans la détente.
Je le consulte sans document. Là n’est pas l’objet.
Il me reçoit néanmoins sur le mode investigateur. Il veut connaître ma maladie. Je réponds sans méfiance à des questions banales mais il bifurque sur le domaine de l’intime : vous avez des idées de suicide? Et côté relations sexuelles comment cela se passe ?
J’insiste sur la fatigue. Je suis là pour cela.
Il lui faut cinq minutes pour poser un diagnostic : burn out ; burn out non traité depuis deux ans.
Il remplit une fiche : nom, prénom, adresse…. Au plafond, une vieille peinture blanche se détache par grands lambeaux de peau. Des armoires vitrées renferment pêle-mêle des souvenirs personnels. Le lieu est vilain.
Un malaise m’envahit.
D’instinct je file un faux numéro de téléphone.

L’échange se poursuit, il flatte : « je vois, vous êtes une femme dynamique, exigeante, intelligente, vous recherchez l’excellence… trop de pression, le corps lâche ».
La ficelle est trop grosse, je discerne inconsciemment qu’il cherche à me déstabiliser : « si je vous pousse un peu, vous craquez… ».  Il revient sur le suicide, veut connaître si j’envisage le passage à l’acte et comment.
Je coupe court : « le suicide n’est pas de la désespérance. C’est lucide. C’est le choix de la vie quand on n’est plus à la hauteur de ses projets».
Il fait une petite moue d’entendement, sans commentaire aucun.

Il lui faut trois minutes supplémentaires pour prescrire un traitement : Prozac !

Prozac. Le psychotrope à la mode, pudiquement nommé « la pillule du bonheur ».
J’interroge sur la dépendance, sur les effets secondaires.
Il répond, en vrac, sûr de lui et sans circonvolution, que le médicament n’a aucun effet secondaire et qu’il n’induit aucune dépendance.
“Charlot. Impossible. Pourquoi tu mens ?”, je pense en moi-même.

À toute allure mon cerveau engrange des détails tous azimuts : la taille du bureau laquelle me positionne loin de mon interlocuteur ; la porte laissée entre ouverte qui empêche toute confidentialité véritable ; le manque d’explication claire à mes questions ; sa réappropriation erronée de la toponymie de mon village (il écrit comme il sait) ; l’absence de finesse psychologique : « vous avez les poignets atteints, vous n’avez pas encore mal ailleurs ?» ; le fait aussi qu’il s’absente soudain quelques instants sans donner d’explication.

Je pourrais me lever, partir, cependant mon inconscient n’a pas classé les informations. Celles-ci n’ont pas pris sens et se bousculent encore. Je suis en alerte mais les mots échangés sont empreints des codes classiques de la communication. De quoi perturber le discernement ! Par ailleurs, c’est lui qui mène la danse.
Tout juste, le malaise provoque-t-il un désengagement : je regarde cette relation comme on regarde les acteurs sur un écran de cinéma. Mais, concomitamment, ce début de fuite salutaire coïncide avec une remise en cause personnelle que ce médecin a réussi à m’instiller.

Je sais que, tout à l’heure, mon cerveau remettra de l’ordre pour donner sens aux détails. J’ai confiance en moi pour comprendre ce qui dysfonctionne dans cette relation. Mais pour l’instant seul le mal-être s’obstine.

Il poursuit, sûr de lui. Le Prozac va vous permettre de booster l’organisme.
Quelque chose ne colle pas dans sa démonstration. Si le corps est fatigué, que faire d’autre que de le laisser se reposer. Pourquoi vouloir le booster ? Pour asseoir un peu plus la fatigue ?

À cet instant précis, je ne réalise pas encore qu’il m’a catalogué comme dépressive. C’est sans doute là, la signification qu’il donne à burn out.

“Vous prenez du Prozac pendant trois à six mois, poursuit-il, et vous venez chaque semaine, on surveille. C’est la seule manière efficace de se soigner.”
– On surveille quoi ?
– On voit comment vous supportez, on parle…

J’entrevois qu’il veut me refiler une psychothérapie. Il répond évasif à mes questions sur d’autres traitements alternatifs. Tout cela reste très opaque. D’autant, qu’il n’est pas psychothérapeute mais médecin généraliste dont la spécialité d’acupuncteur lui permet les dépassements d’honoraires.

La séance d’acupuncture dure dix minutes. Six aiguilles plantées dans les pieds, les mains, le haut du crâne, le plexus, sans explication aucune. À si, il me trouve molle !
Il me file un rendez-vous pour la semaine prochaine auquel je sais déjà que je n’irais pas.

Quand, une heure plus tard, bien calée dans les angoisses qu’il a su déclencher, je m’applique à associer les détails comme autant de pièces du puzzle de sa logique de pensée et d’action, l’évidence apparaît : homme dangereux. Manipulateur. À fuir d’urgence.
Pour moi la messe est dite. Retour au calme.

Un copain confirme mon diagnostic : il a déjà eu à faire à lui. Je l’ai échappée belle.
On prévient la sécu ?

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